"Le droit de chasser les cygnes dans la vallée de la Somme depuis Amiens
jusque Braysur Somme appartenait en commun à l'abbaye de Corbie, et aux
Seigneurs riverains : ceux de Daours, Blangy, Rivery, l'évêque d'Amiens
et les chanoines de la cathédrale d'Amiens.
Chaque année, le
premier mardi du mois d'Août, sur convocation de l'abbé de Corbie, à qui
appartenait la prééminence parmi les propriétaires du droit de chasse,
les baillis et oficiers des seigneurs précités se rendait à Lamotte-Brebière
dans une prairie entre Camon et Glisy.
Les seigneurs de Rivery et de Blangy remontaient la rivière à partir du pont du Cange jusqu'à un endroit dit "la Mottelette" (lamotte-Brebière d'aujourd'hui) en amont de Camon.
Cette réunion, véritable fête où l'on
goûtait des divertissements variés. était certes une chasse aux cygnes
mais plus encore une sorte de cour de justice où l'on réglait les
contestations relatives aux cygnes.
Les officiers seigneuriaux étaient
accompagnés de bateliers ou poissonniers experts en ce genre de chasse.
Ils poursuivaient, traquaient tous les
cygnes qu'ils pouvaient rencontrer sur les différents bras de la Somme
et les amassaient dans un endroit propice, terrain bordé de fossés,
pour y faire la reconnaissance des anciens volatiles et marquer les
jeunes.
On examinait soigneusement les cygnes, on
laissait en liberté les vieux déjà marqués ; quant aux autres, on leur
faisait une empreinte au fer chaud avant de les relâcher.
pour l'évêque d'Amiens, c'était une
crosse du côté droit de l'oiseau ; pour le chapitre des chanoines de
la cathédrale, une croix tout le long et de travers ; pour l'abbé de
Corbie, une clef ; pour le seigneur de Rivery, une barre de travers,
pour le seigneur de Blangy, un écusson du côté gauche.
On regardait à leur bec quelles marques portaient les père et mère
:si ces sceaux étaient différents, les seigneurs partageaient la couvée par moitié puis on coupait aux cygnes un bout d'aile appelé le fouet de l'aile et on le relâchait.
(manuscrit de Pagès)
Il vint un temps où les cygnes se firent
de plus en plus rares à cause des guerres et du braconnage.
Les gardes du sel, chargés de surveiller
les passage de la Somme pour empêcher la contrebande du sel, en tuaient
aussi un grand nombre.
Néanmoins la réunion avait toujours lieu.
De joyeuses compagnies, tant d'Amiénois que
d'étrangers s'embarquaient au Pont du Cange, sur quantité de bateaux
couverts de toiles blanches ou de branches d'arbres pour une promenade sur
la Somme que l'on remontait jusqu'à la Borne
de Camon.

Le musée de Picardie possède une aquarelle de
Joseph Bazire, valet de chambre du roi. :
Une chasse
aux Cygnes, 1784, à la Borne de Camon.
Là on s'arrêtait sous l'ombrage des arbres au bord de la rivière.
On mangeait, on buvait, on dansait jusque tard dans la nuit et l'on s'en
revenait aux flambeaux par le même chemin.
"C'est peut-être le seul divertissement de ce
genre dans le monde entier" écrivait
Devermont en 1783, qui disait encore parlant de sa voie d'accès, la Voierie,
(rue Voyelle) "Elle est l'une des plus
belles promenades que l'on puisse désirer".
Pour la dernière fois, le 5 août 1704 fut donnée une chasse officielle, entourée de l'apparat et des formalités moyen-âgeuses
qui nous rattachaient
au passé.
"Le cygne féodal qui avait fait entendre son dernier chant en 1704 s'est
"éteint" peu à peu, bourgeoisement, sous les coups hypocrites des soldats, des gardiens au sel et des braconniers".
Mais,
●
Jean-Loup Leguay, internaute natif d'Amiens
complète l'article en ces termes. Qu'il en soit remercié.
Supprimée officiellement en 1704, cette
tradition du Moyen Âge demeura néanmoins vivace dans les mémoires picardes
du XVIII ème siècle par le biais d'une fête nautique se substituant à
l'ancienne chasse proprement dite.
Devermont l'Aîné fait longuement état de
cette manifestation prisée par les Amiénois et dont une large part se
déroulait de nuit.
Aussi l'auteur nous donne une évocation
poétique de ce cortège nocturne de barques et de lampions sur la Somme.